Chroniques de cabane

Encore un article écrit par ma patte sur le Blog « La manchette des manchots » :

http://manchettedesmanchots.blog.lemonde.fr/2015/05/25/chroniques-de-cabane/

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme – Antoine Lavoisier

Les recoins des îles Kerguelen abritent une quarantaine de cabane permettant de rester plusieurs jours sur le terrain pour effectuer des manips scientifiques de toutes sortes. Elles sont aussi bien réparties à l’intérieur des terres et sur le littoral de la Grande Terre que sur les îles du Golfe du Morbihan. Seules traces humaines dans l’immensité des îles de la Désolation, elles ponctuent par leur présence, côtes, plaines ou autres vallées froides et humides et font parties intégrantes du décor kerguelenien.

Petites ou grandes, réduites à un ou plusieurs compartiments, certaines en ferraille, d’autres en bois allant jusqu’aux allures de chalets alpins, chaque cabane est authentique et unique. Quelle que soit la bicoque habitée pour quelques jours, l’ouverture du loquet provoque les mêmes sensations de frénésie et d’excitation. Le regard ébahi balaye l’intérieur rustique mais à l’ambiance néanmoins chaleureuse.

Les cahutes abritent le strict nécessaire pour y vivre. Les denrées foisonnent, allant des pâtes au pâté en passant par la tablette de chocolat, et sont entassées sur les étagères ou dans les touques. L’eau claire est quant à elle stockée dans des cuves ou recueillie dans les points d’eau alentours. Même si l’eau ne manque pas, la douche est un luxe qui n’existe pas dans ces habitations sommaires. Point de cheminée également, seul un radiant alimenté au gaz pour réchauffer l’atmosphère froide et humide des 50e hurlants.

La décoration des bicoques évolue quant à elle au gré du temps grâce aux marques laissées par les kergueleniens de passage remplissant ainsi les lieux d’histoires. Un mot, un simple dessin, ou une photographie laissée à même les parois donnent une âme à l’antre. En silence, le regard se pose sur ce musée des souvenirs et parfois le bout des doigts suit inéluctablement les courbes manuscrites indélébiles. Certaines empreintes se font plus discrètes, accumulées dans les pages du cahier de cabane. Lors de son ouverture, la lecture des calligraphies livre récits et autres péripéties passées. La vie antérieure de la cabane n’a alors plus aucun secret. Et au gré de son envie, chacun décide de laisser le propre vestige de son passage, si infime qu’il soit, permettant de perpétuer ce rituel de vagabond des cabanes.

Certaines cabanes sont des « hot-spots » de fréquentation et se soumettent à un ballet incessant d’allées et venues plus ou moins réguliers. Les habitudes de cabane s’installent alors. Tel le rouage d’une mécanique bien huilée, l’appropriation des lieux est effectuée. A peine arrivé que le déballage du sac à dos débute. Par des gestes assurés, chaque élément transporté à dos d’homme retrouve son emplacement originel comme s’il ne l’avait jamais quitté. Le duvet s’étend sur le même matelas, la lampe frontale retrouve sa tablette ou encore, brosse à dents et dentifrice s’installent dans leur verre de résidence. Une routine de locataire annuel qui n’a rien de blasant. Les moindres recoins sont apprivoisés. La cabane en elle-même n’a alors plus rien de surprenant, mais le paysage alentour, évoluant au gré des saisons, étonne toujours.

Malgré l’environnement habituel et monotone des cabanes, ces dernières sont des lieux emplis d’activités dignes d’une ruche. Les occupations sont diverses : lecture, sieste, jeux de cartes ou de dés, cuisine, écriture (comme cet article par exemple)… Le temps est comblé par une alternance d’instants de partage et de moments solitaires où chacun vaque à ses propres occupations. A la nuit tombée, les lueurs des bougies éclairent fébrilement les parois et les visages, donnant à la cabane une atmosphère cosy. Dans cette ambiance, les voix et autres éclats de rire s’élèvent alors. Les confessions de chacun s’immiscent entre des discussions plus légères agrémentées de quelques blagues, jusqu’à ce que la mèche se consume totalement.

Après un bref interlude de quelques jours où chacun a refait le monde, il est temps de rentrer sur la base de Port-aux-Français et de retrouver son confort, abandonnant provisoirement la cabane et ses secrets.

Comme dirait le dicton kerguelenien, « Ce qui se passe en cabane, reste en cabane ».

Ces refuges, lieux de passage regorgeant de récits et d’empreintes, sont une partie de la mémoire des îles de la Désolation.

Figure_1

Une partie des cabanes présentes sur le sol des îles Kerguelen

Figure_2

Intérieurs et décorations de cabanes présentes sur le sol des îles Kerguelen

———————————————————————————————
♫ Arthur H – Les papous c’est nous ♫